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30 ans après Le cortège des fous de Dieu de Richard Bergeron : compte rendu et réflexions autour d’un colloque, par Dominic LaRochelle

Dominic LaRochelle

Dominic LaRochelle


L’auteur est chargé de cours en sciences des religions à la Faculté de théologie et de sciences

religieuses de l’Université Laval. Il est également responsable des stagiaires au Centre de

ressources et d’observation de l’innovation religieuse de l’Université Laval.






Le 81e Congrès de l’ACFAS, qui s’est tenu à l’Université Laval au mois de mai 2013, a donné lieu à un colloque qui se proposait de faire un bilan sommaire des trente dernières années de recherche sur les nouvelles religions au Québec. Les chercheurs québécois qui œuvrent dans ce domaine avaient déjà eu quelques occasions d’échanger sur leurs travaux respectifs au cours des dernières années : un séminaire organisé en 20091, un précédent colloque de l’ACFAS en 20002, et un congrès en 19963, trois évènements tenus à l’Université de Montréal. Le 30e anniversaire de la parution du Cortège des fous de Dieu. Un chrétien scrute les nouvelles religions (1982) de Richard Bergeron a été le prétexte pour réunir une nouvelle fois des spécialistes qui étudient les nouvelles religions au Québec, les nouveaux modes de croire et les innovations religieuses de toutes sortes. Organisé le Centre de ressources et d’observation de l’innovation religieuse (CROIR) de l’Université Laval, ce colloque a été l’occasion de réfléchir sur l’avancée des recherches dans ce domaine.



Premier travail d’envergure dans le champ des nouveaux groupes religieux au Québec, les travaux de Richard Bergeron ont en effet ouvert la voie à d’importantes recherches sur des sujets que peu d’universitaires n’avaient vraiment osé aborder avant lui. En appliquant une méthode originale fondée sur une vaste enquête, Bergeron a contribué à faire sortir l’analyse des nouvelles religions des polémiques théologiques pour la faire entrer dans les domaines de l’histoire des religions et de la sociologie religieuse. La fondation d’un centre d’information sur les nouvelles religions, qui avait été suggérée en conclusion de l’ouvrage, attestait, déjà à cette époque, d’urgents besoins en matière d’information concernant ce phénomène perçu comme délicat et au centre de diverses controverses, de même que de la nécessité de procéder à des analyses socio-historiques plus approfondies. Depuis la parution du Cortège, bien des choses se sont passées au Québec dans le domaine religieux et le moment était bien choisi pour organiser une rencontre avec les intervenants du domaine de l’étude des nouvelles religions.



Le colloque s’est déroulé sur une journée entière, le mardi 6 mai. Il a réuni douze intervenants répartis sur trois séances de communications scientifiques et une table ronde à laquelle ont participé les responsables de trois centres québécois d’information sur les nouvelles religions, à savoir Info-secte, le Centre d’écoute et d’interprétation des nouvelles recherches du croire (CÉINR) et le Centre de ressources et d’observation de l’innovation religieuse (CROIR). Des échanges fructueux ont mis en lumière la diversité des travaux qui se font actuellement dans ce domaine, tant dans les milieux académiques que dans les milieux de services publics. Au total, c’est près d’une trentaine de personnes (conférenciers et auditeurs) qui ont participé à l’activité. La réédition de la revue Ouvertures par le CÉINR nous apparaît être une bonne occasion de revenir sur cette journée et d’en faire un bilan.



30 ans après Le cortège…


Alain Bouchard (Cégep de Sainte-Foy, Université Laval), qui a été l’un des organisateurs de l’évènement, a ouvert le colloque en lisant un texte rédigé spécialement pour l’occasion par Richard Bergeron (Université de Montréal), empêché de se déplacer en raison de problèmes de santé. Dans son texte, le professeur à la retraite a rappelé deux points qu’il considère fondamentaux. D’abord, que l’étude des nouvelles religions ne peut se faire que dans une optique d’ouverture à l’autre et de dialogue, ce qui veut dire pour lui qu’il est « impérieux de surmonter [s]es propres peurs devant la différence, de bien identifier [s]es préjugés personnels et d’opter résolument pour une attitude de tolérance et de sympathie religieuse ». Plus précisément, une telle attitude signifie s’« exposer à l’autre, non seulement à ses objections et à ses questions, mais plus profondément à ses convictions et à ses expériences, au point que le débat avec lui [devienne] vraiment un débat avec [soi]-même ». Ensuite, Bergeron a rappelé que la recherche sur les nouvelles religions doit toujours donner « la priorité aux personnes sur les groupes ou sur les systèmes. Les groupes sont lointains et les systèmes sont abstraits. C’est la personne qui importe avec ses peurs, ses espérances, ses blessures, son histoire, son contexte existentiel ». L’étude des nouvelles religions, c’est d’abord l’étude d’une facette de l’être humain, ce qui demande de « chercher la personne sous l’étiquette, [de] découvrir un être “vivant” derrière le système, [d’] être attentif au cheminement de chacun »4. Dans cette perspective, les propos de l’auteur du Cortège des fous de Dieu ont définitivement donné le ton au reste de la journée.




La première séance a réuni trois intervenants liés de près ou de loin au Centre d’information sur les nouvelles religions (CINR), l’organisme créé en 1984, soit deux ans après la publication du livre de Bergeron. Chacune des présentations a permis de mieux comprendre la manière dont l’héritage de Richard Bergeron a pu, au cours des trente dernières années, être appliqué à des besoins concrets d’intervention sociale. Daniel Fradette (Bureau de la vie étudiante, Université Laval) a ouvert la séance en parlant de son expérience de directeur général du CINR de 1998 à 2002. Il a expliqué de quelle manière le CINR est rapidement devenu « un lieu privilégié où s’illustre l’impact de la recherche académique sur la société québécoise », une sorte de pont facilitant les rapports entre le milieu académique universitaire et les milieux populaires. Dans un deuxième temps, Marie-Ève Garand (CÉINR, Université de Montréal) a présenté un bref historique de l’évolution du CINR jusqu’à ce qu’il prenne en 2013 ce nouveau nom de Centre d’écoute et d’interprétation des nouvelles recherches du croire (CÉINR). Le nouvel acronyme s’inscrit dans les orientations que s’est donné le centre depuis 2004 : « un organisme de formation et d’intervention dont la mission consiste à interroger les nouveaux mouvements du croire en modernité (sectes, nouvelles religions, thérapies alternatives, etc…) »5. Par ailleurs, la directrice du CÉINR a rappelé que, trente ans après les travaux de Richard Bergeron, la problématique de l’écoute des personnes dans le domaine sectaire demeure un enjeu fondamental et continue d’orienter les activités de la nouvelle mouture de ce centre. C’est d’ailleurs ce qu’a très bien exprimé le troisième intervenant de cette première séance, Sébastien Falardeau (Centre de santé et de services sociaux de Rouyn-Noranda), qui est venu expliquer en détail l’approche typique du CÉINR fondée sur l’écoute et l’interprétation des nouvelles recherches du croire, une approche qu’il a appliquée à son travail d’intervenant en soins spirituels au CSSS de Rouyn-Noranda.




La deuxième séance a regroupé des intervenants qui ont proposé différentes approches académiques pour comprendre les nouvelles religions en les appliquant à des cas précis. Marcel Côté (Cégep régional de Lanaudière) a mis en évidence les préoccupations théologiques qui animaient Richard Bergeron à l’époque où il a entrepris son ouvrage et a expliqué en quoi ces préoccupations l’avaient conduit à s’intéresser au nouveau pluralisme religieux des années 70 et 80. Isaac Nizigama (Université d’Ottawa) a proposé d’appliquer la théorie du pluralisme religieux de Peter Berger à la montée de l’évangélisme ces dernières années. À l’intérieur de la croissance du mouvement évangélique, il a ainsi identifié deux attitudes antithétiques, l’une qui vise la restauration des certitudes religieuses anciennes, et l’autre qui constitue un terreau pour l’innovation religieuse. Dominic LaRochelle (Université Laval, CROIR) a ensuite proposé d’étudier les traditions d’arts martiaux chinois en Occident en tant qu’innovations religieuses et en utilisant les théories de la réception, dans la mesure où ces traditions, à la base étrangères, doivent passer par tout un processus de transformations et d’adaptations pour répondre à des attentes occidentales en matière de spiritualité. Finalement, Stéphanie Gravel (Université de Montréal) a présenté les résultats préliminaires d’une recherche doctorale portant sur la posture enseignante et l’impartialité des enseignants dans le cadre du programme Éthique et culture religieuse. Sa présentation a entre autres mis en lumière certains préjugées qui circulent encore au sein du corps enseignant, en particulier sur de prétendus critères de dangerosités pour déterminer le caractère « sectaire » d’un groupe religieux. Ces quatre communications ont rappelé que les nouvelles religions, et en particulier les innovations qu’elles véhiculent, peuvent être sources d’interrogations diverses, et qu’il est par conséquent important de poursuivre la recherche dans ce domaine.




Quatre études de cas spécifiques ont été présentées lors de la troisième et dernière séance de communications scientifiques en après-midi : autant d’échantillons d’une diversité religieuse bien présente au Québec, ainsi que de la diversité des recherches qui s’y mènent. Dans un premier temps, Véronique Jourdain (Université de Montréal) est venue expliquer comment l’étude du druidisme au Québec oblige à réévaluer les liens d’appartenance que les individus entretiennent avec le religieux aujourd’hui. Dans un même ordre d’idées, Mireille Gagnon (Université Laval) a présenté un modèle d’institutionnalisation des nouveaux groupes religieux à travers l’exemple de la Wicca. Elle a expliqué comment les membres de ce groupe néo-païen sont tranquillement entrés dans un processus menant à la création d’institutions structurées qui n’existaient pas au sein de cette mouvance il y a seulement quelques années. Dianne Casoni (Université de Montréal) a, dans un troisième temps, analysé les tensions internes et externes qui ont contribué à alimenter une diversité de transformations philosophiques et comportementales au sein des membres de la Mission de l’Esprit-Saint depuis sa fondation au début du xxe siècle jusqu’à aujourd’hui. Gaëlle Brunelot (Université Laval) a conclu la séance en analysant les représentations du temps à l’intérieur des doctrines ésotériques d’Helena P. Blavatsky et de René Guénon. Même si ces auteurs ont tous deux privilégié la croyance en un éternel retour (c’est-à-dire à une conception cyclique du temps), Brunelot a expliqué qu’ils ont chacun su maintenir des doctrines spécifiques.




La dernière séance de la journée a pris la forme d’une table ronde animée par Daniel Fradette (Bureau de la vie étudiante, Université Laval) et réunissant les responsables de trois centres québécois d’information sur les nouvelles religions : Marie-Ève Garand (Centre d’écoute et d’interprétation des nouvelles recherche du croire – CÉINR), Mike Kropveld (Info-secte), et Dominic LaRochelle (Centre de ressources et d’observation de l’innovation religieuse – CROIR). Chaque intervenant a d’abord brièvement présenté le centre dont il a la responsabilité, ses origines et les services qui y sont offerts. Avec ses trente années d’expérience dans le domaine, Info-secte se positionne comme un centre de consultation indépendant des milieux universitaires à l’intérieur duquel les responsables ont su développer une expertise originale leur permettant d’offrir un service de conseil et de référence aux personnes qui vivent des problématiques face aux phénomènes religieux.





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