Eva Talineau
Eva Talineau est psychanalyste en exercice depuis 37 ans, en cabinet et en psychiatrie adulte
parcours : histoire, puis psychanalyse.
Langue maternelle, hongrois. Langue de travail, français.
2014 aujourd’hui. Presque 120 ans, et plutôt alerte, la vieille dame ! Quelque chose
dans l’idée et la démarche psychanalytique doit être assez increvable, puisqu’elle
continue à avancer, à inventer, irriguer recherches et controverses, parfois violentes,
à causer et faire causer, que certains la choisissent comme exutoire privilégié de
leur hargne tandis que d’autres sont encore, pour elle, tout feu, tout flamme,
remplissent l’espace social où elle circule du spectacle de leurs querelles byzantines,
tant il est difficile pour eux de supporter… qu’elle ait plusieurs amants…
Sa pratique, sous diverses formes, certaines un peu routinière (il n’est pas de
discipline qui, ayant déjà un certain temps de vie, n’a pas à lutter contre des inerties
internes), d’autres innovantes, continuent à être un repère dans notre société, et
intéresse. Elle éveille aussi, et tant mieux que cette contradiction existe, la
méfiance, salubre, « de se faire avoir ».
Cet intérêt insiste, chez nous, en occident, là où beaucoup résistent à se cliver
entre s’offrir comme objet pour ce qui est de l’intime à la « Science » tout en
consommant, en tant que « sujets », les idéologies prêtes à l’emploi à siroter en
groupe qui prescrivent « ce qu’on doit penser », mais s’affirme aussi au Maghreb et
dans les pays issus du glacis socialiste, partout où la parole se dégèle un peu et
cherche à se renouveler en repassant par de l’autre.
On souhaite tous ne plus souffrir, ou moins souffrir. Et tant mieux si certains
médicaments aident à cela, lorsqu’ils marchent, pour autant que leurs inconvénients
n’outrepassent pas le soulagement qu’ils apportent, pour un temps. Ceux qui ont
connu dans leur vie et l’enfer mélancolique et le cancer le disent parfois : ils préfèrent le
cancer. La douleur de porter la mort dans l’âme, d’être enfermé dehors, avec à côté,
comme derrière une vitre sans tain, le monde vivant des autres vous narguant du
spectacle d’une fête à laquelle on n’est pas convié, est indicible, et autre que la
souffrance des pertes dont tout le monde a à connaitre. Encore faut-il que le clinicien
sache reconnaître à quoi il a affaire, ne confonde pas la mélancolie profonde de qui est
hors-jeu depuis toujours, avec le deuil lié à une perte, d’un objet ou d’un idéal, ou la
plainte sthénique, subliminalement quérulente, de beaucoup de « déprimés » qui
souffrent surtout de la colère rentrée de quelque frustration qui leur est restée « à
travers la gorge », démentant la toute-puissance inconsciente à laquelle ils croyaient
avoir droit. …
On souhaite aussi, si possible, « fonctionner » mieux, se donner toutes les chances
pour avoir une meilleure santé, réussir dans son travail, ne pas être trop empêché
dans des actes simples de la vie quotidienne, et tant mieux aussi si des techniques,
appliquées par des gens qui désirent aider, permettent parfois de passer outre
quelqu’obstacle. Déplacer un problème, celui de pouvoir se déplacer, par exemple,
c’est déjà un progrès : on a fait un pas, on n’est donc déjà plus tout à fait le même, on
a prouvé en acte qu’un changement est possible. Ce n’est pas rien. Parfois, on peut
choisir d’en rester là, et la vie prend la suite. Parfois, pas toujours.
Il est vrai aussi que nous sommes des animaux, et que ce qui relève de notre
animalité est de mieux en mieux connu par la science et la médecine. On peut agir
sur nos circuits neuronaux, nos neurotransmetteurs, notre chimie interne, et sans
doute qu’on saura le faire de manière de plus en plus pointue, et avec de moins en
moins d’effets secondaires. Les décennies qui viennent nous surprendront sûrement
(même si on attend toujours le médicament du bête rhume de cerveau… qui pourtant
ferait la fortune du labo qui le commercialiserait).
Nous sommes aussi, pour une part de nos personnes, des êtres pétris d’habitudes,
d’habitus, formatés (sans connotation péjorative) par des modèles familiaux ou
sociaux en réponse à quoi – adhésion sans recul ou révolte irréfléchie – se sont
installés en nous un certain nombre de « comportements », ou de réponses
psychiques sans nuances par lesquels nous nous faisons prendre en charge comme
par un pilote automatique ! il n’est pas absurde, si ces habitudes se sont muées en
compulsions, qu’on en est devenu l’objet – des manières de se nourrir, par
exemple, ou de faire du sport à outrance, ou de travailler sans jamais s’arrêter, bref,
lorsqu’on a le sentiment qu’on n’est plus libre de ses choix ou qu’on ne l’a jamais été
– de recourir à une « thérapie ». « Comportementale », ou « Gestalt », ou autre, il y en
a d’innombrables en circulation à travers lesquelles on se fait donner par un tiers, via
diverses procédures parfois standardisées (la plupart des TCC 1 ), parfois plus
ouvertes, axées sur la rencontre, comme les psychothérapies existentielles,
l’autorisation de renoncer à ces habitudes, ou schémas relationnels, où on s’était
enfermé… Daniel Sibony appelle « transfert absolu » le point, proche de l’hypnose, et
ancré dans la croyance en l’Autre, auquel la plupart de ces thérapies font appel. Il
parle aussi, par ailleurs, de la séduction – « ducere » c’est « conduire » – comme de
ce qui permet de se faire conduire dehors, de s’arracher de l’ornière de l’identité à
laquelle on s’était réduit, aux dépens d’autres possibilités. Il s’agirait donc d’aller se
faire « séduire » par autre chose que le symptôme automatique auquel on avait
confié une part de son être…
Tout ce qu’on fait, ou ne fait pas, « sans y penser », ou parfois pour éviter de
penser, peut, lorsqu’on se rend compte qu’il y aurait peut-être mieux à faire, qu’on
en a marre de cette manière d’être ou de jouir, qu’on aimerait passer à autre chose,
être appréhendé par la médiation de quelque thérapie. D’où la parcellisation de ces
« thérapies », les « spécialistes » en ceci ou en cela qui essaiment un peu partout en
une nébuleuse où chacun est appelé à venir faire son marché. Ce vaste champ
recouvre tous les symptômes possibles, même certains qui sont des pures inventions
sociales qui « pathologisent » les moindres difficultés de l’existence et les assortissent
de réponses ad hoc qu’on est invité à acheter.
1 Thérapies cognitivo-comportementales (note de la rédaction).
Il est certes facile de se moquer des excès et des dérives, et de mépriser toutes ces
approches en bloc. Plus intéressant est de tenter de se remémorer qu’appliquant ces
protocoles et thérapies, il y a des gens qui peuvent être intelligents et créatifs,
nonobstant la nécessité interne dans laquelle ils sont de penser être « garantis » par
la Science (mais certains analystes aussi, et non des moindres, ont besoin de cette
croyance). Ces thérapies sont des médiations de leur désir d’agir.
Une thérapie, quelle qu’elle soit, peut apporter quelque chose, infléchir un
parcours de vie, indépendamment du fait qu’elle réussisse ou qu’elle échoue. Ce
n’est pas rien, pour un jeune homme à qui pas grand’chose a été transmis, du moins le
pense-t-il, qu’un homme en âge d’être le père qui fut absent, réellement ou
fantasmatiquement, dans son histoire lui « enseigne », avec ce qu’il pense être la
bonne méthode, comment surmonter sa « phobie sociale ». Ce n’est pas rien déjà
que ce jeune homme soit allé chercher dans quelque lieu pour lui, autre que celui
auquel il pense appartenir – le lieu familial, l’espace social proche –, ce qu’il pense
n’avoir pas eu – penser n’avoir pas eu a des effets réels –, la représentation de notre
réalité qu’elle contribue à la construire. Ensuite, cette thérapie peut réussir un peu,
beaucoup, pas du tout, à mettre du jeu dans ladite phobie sociale. Mais quelle
qu’en soit l’issue, ce jeune homme, d’avoir fait cet acte, de quête de père ou de
repères sur lesquels s’appuyer, n’est plus tout à fait celui qu’il était avant. La question
du père n’est déjà plus présente en lui dans le même état.
Le fait même de décider « je vais faire une thérapie », quelle qu’elle soit, est déjà un
pas pour sortir d’une éventuelle ornière. On est prêt à y mettre du sien. Le succès de
ladite thérapie dépend pour partie de la décision, inconsciente, du patient au départ
de l’affaire, si c’est le moment pour lui ou pas de cesser de fumer, ou de s’auto-
intoxiquer jour et nuit de ruminations moroses, par exemple, et pour partie de
l’énergie, et de la conviction, du thérapeute, de ce qu’il engage dans son action
(certains sont plus doués que d’autres…). Mais elle dépend aussi, et c’est là que la
psychanalyse reprend sa place de recours parfois incontournable, du paysage sous-
jacent, de l’univers symbolique interne, des traces inconscientes à l’état latent par
lequel le patient est habité, au sein duquel la « thérapie » visant le symptôme se
trouve de facto inscrite comme faisant elle-même partie du symptôme qui
emprisonne le patient.
Par exemple, la lutte contre les compulsions et les idées obsédantes sont les
partenaires obligées, tant des compulsions que des idées obsédantes. L’obsédé
pense ce qu’il ne faudrait pas (« Jésus est un enculé », ou « je veux baiser la voisine »
– qui a 80 ans et qu’il ne désire nullement, en fait). Mais le symptôme n’est pas
seulement la présence en lui de ces pensées automatiques, c’est aussi la nécessité,
le travail, de les annuler après coup par des actes conjuratoires, ou de passer ses
journées à craindre de se mettre à penser. C’est la séquence des deux qui constitue la
vérité de sa condition. Or, sa demande en thérapie, dans quelque thérapie que ce
soit, c’est « enlevez-moi ces pensées obsédantes ». Or justement, lutter
interminablement contre elles est un morceau de la maladie qui l’habite. Mieux vaut
que le thérapeute, quelle que soit la « technique » qu’il « utilise », en soit averti. À cet
égard, les psychanalystes qui pensent que l’« association libre » va leur permettre
d’approcher le « refoulé » du patient ne se font ni plus ni moins d’illusions que les
tenants des TCC qui pensent que chiffrer le nombre de pensées obsédantes dans la
journée, et coter les progrès avec de belles courbes, va le « déconditionner ». L’une
ou l’autre médiation vaut pour ce qu’elle peut porter de désir de vie agissant, pour ce
qui peut, à travers elle, se passer de nouveau dans la rencontre avec cet autre
qu’est le thérapeute. Elle vaut pour le patient.
Cela ne veut pas dire que toute thérapie est vaine, ni même que toutes se valent. Cela
veut dire qu’elle ne pourra aider véritablement, conduire vers une réorganisation,
plus légère et libre, de la vie psychique que si l’appel à la volonté (ce n’est pas un
gros mot), au désir de vie du patient, est étayé par la mobilisation des forces
profondes qui ont mis en place les identifications qui font que quelqu’un est ce qu’il
est. Parfois, il suffit de « séduire » le patient, qui vient là pour ça, pour qu’on l’aide à se
défaire d’une manière d’être qui n’a plus d’intérêt, de répétitions vides. D’autres
fois, c’est toute la personne qu’il faut déplacer, d’un lieu psychique qui n’offre
aucun soutien, où rien n’est possible et où ça tourne en rond, vers un autre, pour elle
inédit, qui permet d’exister. Et ce n’est qu’à cette condition que les idées obsédantes
et la lutte obsédante contre elles, qui en sont les partenaires, peuvent laisser place à
une vie où il y a du possible.
Un certain nombre de ces thérapies – les thérapies comportementales et cognitives
surtout, qui depuis peu se sont approprié la classification « émotionnelles » (TCCE 2
et non plus TCC) – se donnent volontiers (et assez pompeusement…) un habillage
« scientifique » avec des tableaux, des courbes, des chiffres. Ça ajoute de l’autorité à
la chose, comme jadis le nom de Dieu invoqué avant une bataille, ou pour marquer
l’espoir que la moisson sera bonne. Pourtant, le ressort de leur action tient à
quelque chose qui a existé de tout temps, bien avant la Science, qui est tout aussi
respectable que la Science, et dont on espère bien qu’elle continuera d’exister au fil
des générations : la part de transmission qui opère dans l’éducation.
L’éducation, pour qu’elle soit possible, suppose un certain type d’amour, une
acceptation d’être « influencé », « séduit » au sens d’accepter une altération « de ce
qu’on est », qui ne s’éteint pas à l’âge adulte, même si s’y ajoute l’esprit critique, en
principe (lequel d’ailleurs est loin d’être absent chez les enfants, qui peuvent faire
comme on leur dit et n’en penser pas moins, et savent très bien si les adultes
croient ce qu’ils disent ou pas). On peut l’utiliser, à bon escient… dans l’intérêt du
patient. Certaines thérapies (par exemple celles, pleines d’humour, de ce
psychologue systémique et jungien, Stanislas Watzlawick « faites vous-mêmes votre
malheur »), y ajoutent des techniques « psychologiques » (des ruses, mais pourquoi
pas ? que celui qui n’a jamais rien interdit à son enfant pour obtenir que justement il le
fasse, et n’a pas jubilé intérieurement en voyant que ça marche, lui jette la première
pierre…).
Dans le cas des phobies, par exemple, l’autorité de la Science via le thérapeute
vient à la rescousse du patient, qui en reçoit un étayage symbolique : « je serai
avec vous lorsque vous arriverez vers ce pont qui vous fait si peur – et d’abord, vous
ne devez pas le traverser, dans un premier temps. Juste faire un pas vers lui. Mais pas
deux, sauf si vous y tenez absolument » etc. Le patient affronte l’épreuve de
traverser le pont avec les forces du thérapeute s’ajoutant aux siennes (si toutefois il
accepte de supposer au thérapeute assez de pouvoir pour que « ça marche », s’il a déjà
décidé en son for intérieur que…, si…, etc.).
Mais, et c’est là que toutes ces thérapies, même les plus astucieuses, trouvent leur
limites, le « pont » peut symboliser dans l’univers d’intérieur du patient quelque
chose qu’il n’est pas possible de franchir pour lui à ce moment-là de sa vie, le
2 Thérapies comportementales, cognitives et émotionnelles (note de la rédaction).
renvoyer à une difficulté interne dont il n’a aucune idée (juste cet appel qui insiste, en
lui, et dont il ne sait que faire, « j’ai peur des ponts, ça me complique drôlement la vie
d’être obligé d’inventer des itinéraires qui les contournent »), et qui peut l’amener à
consulter. Et là, il vaut mieux que le praticien consulté ait une idée des enjeux
possibles de la chose (autrement dit, ne soit pas un pur technicien). Qu’il ne perde
pas de vue qu’il a en face de lui non le TCA (trouble du comportement
alimentaire) de 16h15, mais un individu dont l’univers intérieur est constitué d’un
système de traces immergées dans l’existence, qui déterminent ce qui est, pour lui,
possible ou pas, à un moment donné, qui le porte et qu’il porte, lui donne épaisseur et
singularité, tout en demeurant, en lui, un mystère.
Au cours d’un travail analytique, il arrive qu’une phobie, qui était là, fichée comme une
borne, depuis l’adolescence, soudain s’évapore lorsque le patient, pour la première
fois, devient père d’un garçon. Ledit patient ne s’appelait pas « Dupont ». Mais le
nom de jeune fille de sa mère assonait avec « pont » dans sa langue
maternelle. La phobie, d’ailleurs légère, indiquait, indice parmi d’autres, chez ce
patient, le conflit entre fidélité à l’imaginaire maternel, plus précisément dans cet
imaginaire, au père de celle-ci, auquel grâce au signifiant « pont », il se reliait, et son
désir, longtemps refoulé, de transmettre son patronyme. Lignage contre lignage
jusqu’au moment, résolutif, où le passage peut se faire de n’avoir plus valeur de
choisir l’un ou l’autre. Une remarque en passant : dès le début de cette analyse, le
lien s’était fait dans ma tête entre la phobie des ponts qui lui compliquait la vie, et le
nom de jeune fille de la mère de ce patient, et je le lui avais fait remarquer, sans que
ce déchiffrage ne change grand' chose à son inconfort. L’Inconscient, même s’il est
vrai qu’il parle (cela a été le génie de Freud de découvrir les processus
primaires) n’est pas avant tout une langue étrangère que le patient porte en lui, tel
un saint sacrement, dans l’attente, enfin qu’elle soit lue – c’est un potentiel de
créativité en devenir. Dans ce cas, la question était entre filiation et paternité, dont
il s’agit, à travers le travail analytique, de réveiller la dynamique, et d’accompagner
la puissance inscriptive.
Mais revenons à la question des thérapies. On a donc vu qu’il n’y a rien d’absurde à
vouloir s’extraire de compulsions invalidantes, fussent-elles des compulsions à
penser, via des techniques éducatives. Elles peuvent être une médiation aussi bonne ou
aussi mauvaise qu’autre chose, selon ce qui s’y transmet du thérapeute au patient
et du patient au thérapeute. Mais voici maintenant un autre exemple qui montre
combien cela aurait pu être dommage et réducteur de ne pas prendre les choses par
un autre abord, d’envisager l’irruption intempestive d’un symptôme, qui « évoluait »
sous anti-dépresseurs depuis des mois au moment de la rencontre avec la patiente,
comme une sorte de « mauvaise habitude », nocive, à éradiquer d’urgence.
Une jeune fille arrive avec une phobie d’impulsion (situation classique pour
laquelle des protocoles TCC sont prévus avec désensibilisation progressive, le tout
avec courbes, graphiques, tout un attirail visant à faire plus « scientifique » puisqu’on
exhibe les insignes de la Science). « J’ai peur de prendre un couteau et de faire mal à
quelqu’un », explique-t-elle. On parle ensemble. Très vite, il apparait que cette jeune
fille étouffe avec son « copain », insuffisant à beaucoup d’égards, on va dire. À
l’arrière-plan de cette situation, il y a le fait qu’elle avait été propulsée par ses
parents « petite mère » – « sa deuxième mère », disait-on à son propos, « c’est
quasiment elle qui l’élève » – de son jeune frère arriéré mental, envers lequel son
ressentiment qu’il ait pris tant de place dans l’attention de ses parents, à son détriment,
pensait-elle, n’avait jamais pu s’exprimer. Le bénéfice narcissique de
l’identification « petite mère » l’interdisait. Des rêves explicites, où les couteaux n’ont
pas manqué, ont ponctué quelques séances (levée du refoulement de pulsions
agressives). Dans la foulée de ces rêves, ses relations réelles avec le frère attardé se
sont améliorées. Et il s’est trouvé bien, lui aussi, de ne plus être l’objet des
visées éducatives traversées de pulsions sadiques anales (mal) refoulées de sa sœur,
qui a découvert de son côté que derrière l’« amour » affiché, mais infiltré d’agressivité
narcissique, qu’elle lui témoignait… il y avait une tendresse réelle, en elle, pour ce
frère, tel qu’il était.
Mais la phobie d’impulsion n’a disparu que plus tard : lorsque le « copain » a été
largué, au profit d’un autre homme qui pouvait compter pour elle comme tel (pas tout
de suite, elle a assumé un moment de « ne pas être en couple »), d’un autre homme
moins dépendant d’elle, moins en quête à travers elle d’une figure maternelle par
laquelle être « dirigé » et contre laquelle se révolter. Cela n’a pas été facile. Il n’est
pas facile de lâcher la possession fantasmatique de l’autre et la « sécurité »
fallacieuse qu’elle procure, de s’engager dans la vie à partir du vide d’un désir pas
satisfait d’avance. C’est ce qu’a permis à cette jeune femme le travail analytique
qu’appelait son symptôme. « J’ai peur de prendre un couteau et de faire mal à
quelqu’un ». Elle avait peur, c’est vrai. Mais elle le voulait aussi, au fond d’elle-
même : non pas satisfaire ses pulsions agressives envers le frère, le copain ou même
s’autoriser à les reconnaître (ça ce n’était que l’écume des choses), mais se couper
elle-même d’une manière d’être où, possédant fantasmatiquement l’autre, elle ne
pouvait ni désirer elle-même, ni jouir de son désir à lui, dans un érotisme qui la fasse
femme.
Qu’est-ce que la psychanalyse a en propre, qui la rend autre que les thérapies de
toutes sortes, qui aujourd’hui abondent sur le marché du soin ? Telle était la
question de départ. Et voici le moment d’y répondre. C’est, à mon sens, devant toute
personne rencontrée à partir d’un symptôme posant problème, d’être capable de
prendre en compte à la fois la réalité présente de cette personne, dans sa vie, dans
ses interactions avec les autres telles que vécues par elle dans ce qui est son
actualité. C’est de ne pas considérer son « moi », ses symptômes et ses difficultés
telles qu’elles sont comme choses négligeables qui ne mériteraient que mépris et
silence sous prétexte de s’adresser à l’Inconscient et seulement à l’Inconscient, tout
en explorant, en même temps, et cela plutôt silencieusement, l’état du paysage
intérieur que cette personne amène avec elle, ses points d’impasse, de fixation,
afin de l’accompagner activement vers le chemin permettant de les dépasser. Cela
n’est certes pas la même chose, dans un destin, de rencontrer, à la faveur d’un
symptôme qui flambe, quelqu’un qui va chiffrer ce symptôme (vous avez plus peur le
matin, le soir ? cotez votre peur du pont sur une échelle de 1 à 10…), ou quelqu’un qui,
sans tenir votre peur pour quantité négligeable et vous laisser seul avec elle, va aussi
la déchiffrer, discrètement, pour ce qu’elle condense de vos possibles figés, y attendre
l’appel des actes empêchés, lui répondre, en accompagner la transformation en
vous. Certains symptômes, pas tous, sont parfois comme des phares dont le
clignotant unique signale à qui passe par là, et sait entendre, voir et penser, qu’il n’y
a pas forcément un naufrage, mais, du moins, momentanément, une stase.